Votre emploi est en danger. Le système sociétal que nous suivons depuis cent cinquante ans a rendu l’âme. À l’instar du lait une semaine après sa date de péremption, il ne sent pas encore trop mauvais, mais il ne représente plus une valeur sûre. Depuis l’enfance, nous avons été conditionnés pour croire qu’en suivant les instructions que l’on nous donnait, en exécutant ce que l’on attendait de nous, sans faire de vagues, nous serions pris en charge. Que l’on nous offrirait un bon poste, avec un salaire décent, et qu’un régime de retraite nous attendrait à la sortie. Deux vérités élémentaires permettaient à ce système de fonctionner : 1) la main-d’œuvre était relativement rare et géographiquement limitée, nous offrant ainsi un niveau raisonnable de sécurité de l’emploi, et 2) la concurrence était plutôt restreinte, en raison (une fois de plus) des contraintes géographiques et du coût élevé que représentait la création d’une usine concurrente. Depuis, les règles ont changé.
Grâce aux options pratiquement illimitées qui s’offrent à eux, les consommateurs fondent aujourd’hui leurs décisions d’achat sur l’un des deux critères suivants : 1) ce qui coûte le moins cher, ou 2) ce dont la valeur dépasse le produit physique. Nous ne gagnerons jamais si nous nous livrons à une guerre des prix. En tant qu’entreprises et employés, nous sommes désormais en compétition au niveau mondial. De nouveaux concurrents surgissent chaque jour, prêts à offrir un travail de qualité moyenne, mais moins cher. Si nous ne pouvons pas gagner sur le terrain des prix (à moins de s’appeler Walmart, c’est impossible, du moins à long terme), notre seule option consiste à offrir à notre « client » (il s’agit parfois de notre patron) une expérience si unique qu’elle nous rend indispensable à ses yeux. L’époque où nous pouvions nous contenter de venir au travail, d’exécuter les ordres et de laisser le système nous prendre en charge est révolue.
Les gens qui réussissent aujourd’hui sont ceux que Seth Godin qualifie d’artistes. Non pas des artistes qui peignent, dessinent ou composent, mais des artistes au sens où ils apportent une valeur ajoutée à la vie d’autrui en surpassant les attentes. Ces gens-là vivent « hors du manuel de formation ». Dans la machine qu’est leur entreprise, ce ne sont pas des rouages que l’on peut remplacer. Ce sont des linchpins – des pièces indispensables au mécanisme dans son ensemble. Ce sont les serveurs qui vous mettent de si bonne humeur que vous êtes prêt à traverser la rue et à payer votre café deux dollars de plus pour le seul plaisir d’échanger avec eux. Ce sont les agents de bord avenants qui expliquent en grande partie pourquoi vous restez fidèle à une compagnie aérienne plutôt qu’à une autre. Ce sont les comptables qui se démènent pour trouver des moyens nouveaux et uniques de vous faire économiser de l’argent sur votre déclaration de revenus. Quelle que soit l’industrie, ces gens sont investis sur le plan émotionnel dans leur travail. Ils résolvent des problèmes intéressants. Ce sont des meneurs. Ils créent des liens avec les gens. Ce sont des artistes au véritable sens du terme. Et vous pouvez être comme eux.
The Big Idea
Livrez, envers et contre le cerveau du lézard.
"Ce n’est pas d’une pénurie de talents que nous souffrons, mais d’un défaut de livraison."
Il y a des milliers d’années de cela, la méthode la plus sûre pour rester en vie consistait à se fondre dans la masse. Vous ne risquiez pas de vous faire dévorer par un tigre à dents de sabre si vous évitiez d’attirer l’attention et restiez dans les frontières de la tribu. S’aventurer dans une vallée nouvelle représentait une source légitime d’inquiétude, car la possibilité de finir en repas était bien réelle. Explorer l’inconnu était dangereux. Suivre les directives était synonyme de sécurité. C’est ainsi que des dizaines de milliers d’années de conditionnement ont programmé notre cerveau. Mais la présence de tigres à dents de sabre n’est plus un sujet d’inquiétude pour nous aujourd’hui. D’ailleurs, si vous lisez cet article, il y a de fortes chances que vous ayez très peu à craindre de la vie en général.
Pourtant, nous continuons d’avoir peur. Nous éprouvons de la peur avant une présentation ou une réunion de vente importante. Nous ressentons de la crainte avant de décrocher le téléphone pour inviter quelqu’un à un premier rendez-vous galant. Nous concevons une peur irrationnelle, parce que cette partie primaire de notre cerveau (que Seth appelle le « cerveau du lézard ») considère tout ce qui est nouveau (soit tout ce qui exige une réflexion indépendante) comme un risque pour notre sécurité personnelle. Le cerveau du lézard sera satisfait si vous vous contentez de faire profil bas et d’exécuter les ordres, ce qui vous rendra également ordinaire et remplaçable.
« Livrer » consiste à offrir votre art (c’est-à-dire vos efforts au-delà du manuel de formation) au monde. Le cerveau du lézard y trouve un important terrain d’expression. En effet, l’incertitude du résultat engendre la peur. La compagnie Virgin est composée de soixante-dix entreprises indépendantes. Richard Branson « livre ». Seth Godin a écrit douze livres en onze ans. Il « livre ». Les grands leaders et innovateurs de notre époque (et plus largement, de tous les temps) ne sont pas immunisés contre la peur que produit le cerveau du lézard. Ils l’éprouvent, tout comme nous, mais avancent malgré elle. Ils transcendent le cerveau du lézard pour exprimer leur art, au profit de leur entourage. Ils « livrent », de manière régulière et répétée.
Insight #1
La délibération anticipée
"Les créateurs professionnels pratiquent la délibération anticipée. Plus l’échéance du projet approche, et moins nombreux doivent être les gens impliqués et les changements autorisés. "
Avez-vous déjà dû mener à terme un projet de groupe ou rendre un livrable qui, au final, aura coûté plus de temps ou d’argent (voire les deux) que prévu? Il n’est pas rare, à mesure que la date de livraison approche, qu’un nombre croissant d’individus soient impliqués et que de nouvelles corrections « doivent » être apportées. Le cerveau du lézard est à l’œuvre. Tout lancement est éprouvant, précisément parce que cela veut dire : « Nous avons fini. C’est là notre meilleure tentative. » Vous vous soumettez alors à l’examen du public. Plus la date de livraison approche, plus le cerveau du lézard s’active pour injecter la peur. Il préférerait ergoter sur les détails quelques semaines de plus, ou solliciter l’opinion d’autres personnes, de façon à pouvoir pointer un doigt accusateur en cas de critique négative. Le cerveau du lézard veut esquiver toute responsabilité, parce que « c’est plus sécurisant ainsi ». Or, ce n’est pas plus sécurisant ainsi. Peut-être l’était-ce autrefois, mais au XXIe siècle, soit vous quittez le cadre du manuel de formation, soit ce dernier passera dans les mains de quelqu’un de moins cher que vous. Si votre emploi est une marchandise, vous serez perdant.
Pour combattre le cerveau du lézard en matière de nouveaux projets, pratiquez la délibération anticipée. Entourez-vous de toutes les personnes nécessaires au début du projet, pas à la fin. Étudiez toutes les options pendant que le cerveau du lézard est encore endormi. Ensuite, quand l’échéance approche, effectuez moins de changements, plutôt que l’inverse. Livrez – à temps et dans les limites de votre budget – en vous montrant proactif à l’égard du cerveau du lézard.
Insight #2
Visez la productivité. Pas la suractivité.
"Les vrais artistes opèrent la distinction entre la tâche et ce qu’ils doivent faire quand ils ne travaillent pas sur la tâche."
Nous sommes tous occupés. Nous travaillons plus que nous ne devrions, en nous efforçant d’accomplir davantage en moins de temps. Être artiste ne consiste pas à faire plus. Il s’agit de faire plus de ce qui est important (et moins de ce qui ne l’est pas). Cela revient à mettre à profit vos dons uniques dans le cadre de votre travail et d’apporter à votre entreprise et à vos clients une valeur ajoutée à la fois exceptionnelle et inattendue.
Les sources de distraction qui nous détournent des tâches cruciales que nous devons réaliser sont plus nombreuses que jamais aujourd’hui. Nous pouvons très facilement justifier de passer trois heures par jour sur Twitter, Facebook ou LinkedIn. Après tout, nous réseautons, n’est-ce pas? Nous « gardons l’œil ouvert sur les nouvelles occasions qui peuvent se présenter ». En réalité, ce n’est pas le cas. Décrocher le téléphone pour appeler un client potentiel serait bien plus efficace. Mais cela pourrait également s’avérer désastreux, car l’incertitude met notre cerveau du lézard en éveil. Or, passer la journée sur Internet ne présente aucun risque. Il suffit d’écouter le cerveau du lézard et de faire ce qui semble facile pour se perdre dans une activité chronophage ne générant aucune valeur pour notre entreprise ou nos clients. Ne cédez pas à la facilité. Écoutez votre instinct et admettez que tout ce que le cerveau du lézard vous dit d’éviter est sans doute précisément ce sur quoi vous devriez concentrer votre énergie et votre attention. Éprouvez la peur. Mais agissez quand même.
L’ancien système est mort, d’après la brillante analyse que livre Seth Godin dans Linchpin. Il n’y a plus matière à débat, c’est une réalité. Vous pouvez donc ignorer ce fait (comme l’ont fait la plupart des entreprises moribondes de l’industrie de l’automobile, de la presse et de la musique), ou réagir. Vous pouvez choisir d’offrir une qualité exceptionnelle. Vous pouvez décider de fournir plus que ce que le descriptif de votre poste et votre manuel de formation vous disent de fournir. Vous pouvez améliorer concrètement la vie de vos clients en consentant un effort émotionnel et en mettant vos talents uniques à l’ouvrage. Si vous choisissez de faire cela, le nouvel ordre du monde vous récompensera. Mais ne vous méprenez pas : il s’agit d’un choix, et c’est à vous qu’il vous appartient de le faire. Personne ne dit que c’est facile. Cela exige des efforts, du courage et une certaine dose de ténacité. Et pour citer Seth Godin, « il est possible que personne ne vous ait jamais poussé à trouver le courage de prendre autant de risques ».
« Considérez donc ceci comme un encouragement à le faire. »
Linchpin, page 223